PRESSE : « La compétitivité doit rester notre obsession »
Le président de France Industrie, Philippe Varin, souhaite que la réindustrialisation soit un projet collectif pour le pays.
La semaine prochaine sera placée sous le signe de l’industrie, avec la manifestation organisée au Grand Palais de « L’usine extraordinaire » et la réunion, sous la présidence du premier ministre, du Conseil national de l’industrie. Philippe Varin, président de France Industrie, explique les enjeux pour le secteur qu’il représente.
LE FIGARO – Quel est le bilan de santé de l’industrie française ?
Philippe VARIN. – À très court terme, nous constatons cette année un ralentissement après une année 2017 vigoureuse, portée par une conjonction astrale (prix du pétrole, niveau des taux d’intérêt, taux de change) très favorable. En 2018, la production manufacturière devrait croître de 1,4 % au mieux, contre 2,5 % en 2017. L’investissement productif décélère aussi, mais il est attendu en hausse significative, de 4 %, en 2019. Sur une plus longue période, nous constatons la poursuite du décrochage par rapport à nos voisins : la part de la France dans les exportations européennes continue de baisser et il existe toujours un écart de trois points de taux de marge entre l’industrie française et l’industrie allemande. L’équipe de France joue en dessous de son potentiel ! Le sujet de la compétitivité doit rester notre obsession. C’est à la fois un problème de coûts et de montée en gamme. Il faut agir avec patience et détermination parce que cela fait quinze ans que cela dure.
Quelles idées l’industrie veut-elle pousser ?
La réindustrialisation de la France ne peut être qu’un projet collectif, qui implique les entreprises, l’État, les collectivités territoriales. La responsabilité des industriels, c’est d’améliorer la performance collective de l’équipe de France. Nous nous sommes organisés autour de seize filières – transport, agroalimentaire, santé, énergie… – pilotées par des dirigeants légitimes, qui avancent sur cinq priorités : la transformation numérique, la définition de projets collectifs de recherche et développement, le développement des compétences dans le cadre fixé par la loi Avenir professionnel, l’accélération du développement des PME et l’international. Chaque filière a signé ou signera dans les prochains mois un contrat avec l’État qui définit les engagements des uns et des autres. Ce n’est pas de l’incantation. Il s’agit d’outils très opérationnels, porteurs d’une réelle dynamique.
Les collectivités locales sont-elles un moteur ?
J’observe, notamment sous l’effet du non-cumul des mandats, une très forte implication des élus régionaux, qui sont conscients que la réussite de l’industrie sur leur territoire est déterminante. Il y a, sur le terrain, une envie d’industrie comme je n’en avais pas vu depuis longtemps. Nous allons renforcer en 2019 notre soutien à leur action.
Et qu’attendez-vous de l’État ? Encore des baisses de charges ?
L’État doit mettre en place les fondations qui permettent la réindus-trialisation. Le cadre macroéconomique importe plus que les mesures spécifiques. Depuis un an et demi, des avancées significatives ont eu lieu : baisse de l’impôt sur les sociétés, transformation de l’ISF, ordonnances travail, discussion de la loi Pacte, plan compétences, transformation du CICE en baisse de charges… Tout cela est bienvenu, et c’était tout à fait nécessaire. Mais il faut aller plus loin, par exemple sur l’allègement des charges sur le travail, plafonné au niveau de 2,5 smics, ce qui est assez paradoxal quand on a l’ambition de faire monter en gamme l’industrie dont les salaires sont souvent supérieurs. Surtout, vous connaissez ma déception, qui concerne les impôts de production. Ces charges comme la C3S, taxe sur le chiffre d’affaires, ou la contribution économique territo-riale, sont sans lien avec les résultats de l’entreprise. Par rapport à l’Allemagne, c’est un boulet de 70 milliards d’euros que nous avons au pied ! Le gouvernement partage ce diagnostic. Mais la contrainte budgétaire empêche l’action. Alors on nous demande de la patience… Je sais que Rome ne s’est pas construite en un jour, mais il faudrait bâtir une trajectoire pour réduire d’un tiers, pour commencer, ce handicap. Cela suppose de retrouver des marges budgétaires et donc de s’attaquer à la dépense publique, un domaine où nous sommes malheureusement champions du monde !
Quelles sont les opportunités de « l’industrie du futur » ?
« L’industrie du futur » est un slogan qui a le mérite de marquer mais en fait, le futur, c’est maintenant ! Nous avons un potentiel d’amélioration de performance considérable de nos PME, qui viennent de traverser ces quinze dernières années en mode survie. Résultat : l’industrie française est classée 18e en Europe en termes de taux de pénétration de la numérisation. Nos PME et nos ETI (entreprises de taille intermédiaire) ont commencé à se saisir de ce sujet et nous devons les accompagner, grâce à l’Alliance industrie du futur et au niveau des filières qui mettent en place des plateformes numériques à destination de toutes leurs entreprises.
Pourquoi l’industrie a-t-elle du mal à recruter ?
Alors que le pays compte 2,5 millions de sans-emploi, 40 % des chefs d’entreprise peinent à recruter. C’est rageant, et c’est un frein à la croissance. Nous sommes confrontés à un double problème de compétence et d’appétence. Sur le premier point, il y a incontestablement un décalage entre l’offre d’emploi et la qualification des demandeurs, y compris pour des métiers de chaudronniers ou de soudeurs. Un travail important est en cours au niveau des branches professionnelles pour simplifier la carte des formations, y intégrer les nouveaux métiers et créer des outils du type Tripadvisor pour que les jeunes s’y retrouvent. Il faut aussi recréer de l’appétence, combler le fossé qui s’est creusé entre l’industrie et la France, et avec les jeunes en particulier. Cela suppose, d’une part, de ramener vers l’emploi ceux qui sont totalement sortis du système. L’État met 15 milliards d’euros sur la table pour le plan investissement-compétences. Il faut s’en saisir ! D’autre part, nous mènerons des opérations de communication pour ouvrir les portes de nos entreprises, montrer ce que nous faisons. Pour partager l’expérience de l’aventure collective que vivent nos équipes, la réponse que l’industrie apporte aux défis de notre société, ou le lien avec les parties prenantes proches ou éloignées. C’est le sens de « L’usine extraordinaire » qui se tiendra au Grand Palais. Je ne doute pas qu’en 2019 de nombreuses entreprises ouvriront les portes de leurs usines extraordinaires partout en France.