MEDIA : « Si rien n’est prévu sur la compétitivité-coût, il manquera un volet essentiel au pacte productif »
Entretien de Philippe Varin, Président de France Industrie, pour l’Usine Nouvelle.
Le Premier ministre a réuni lundi 23 septembre le Conseil national de l’industrie. Industriels, ONG et partenaires sociaux doivent avancer le Pacte productif pour atteindre le plein emploi en 2025, lancé par le gouvernement en juin à l’issue du Grand débat. La grande concertation devrait aboutir mi-octobre. Le président de France Industrie, Philippe Varin, met en garde contre un manque d’ambition du pacte.
L’Usine Nouvelle – La démarche du pacte productif que le gouvernement veut conclure à l’automne vous semble-t-elle pertinente ?
Philippe Varin – Ce pacte vise le plein emploi à l’horizon 2025. Il ne peut pas être un simple catalogue de mesures mais doit apporter des réponses aux grands défis de notre pays, sans hésiter à renverser la table. Certes, l’industrie recrée des emplois et son déclin est enrayé, mais simplement enrayé, et il faut se préparer au ralentissement qui arrive.
Il y a actuellement une dose d’anxiété importante par rapport au contexte national et international préoccupant : notre déficit commercial massif confirme que la compétitivité de l’industrie reste insuffisante en France. Dans le même temps, l’urgence climatique devient un sujet majeur. Et la course à la souveraineté technologique pose la question de l’existence de l’Europe dans la compétition entre la Chine et les Etats-Unis. Cela implique un mur d’investissements que nous n’avons jamais connu, et, plutôt que de profiter des taux d’intérêt historiquement bas, les acteurs économiques préfèrent épargner.
« En matière d’économie circulaire, il faut faire confiance aux industriels qui sont prêts à prendre des engagements volontaires »
Sur quoi attendez-vous des avancées ?
En matière de transition écologique, le mode de fonctionnement traditionnel entre l’Etat et l’industrie n’est plus adapté. Nous devons adopter un fonctionnement collectif différent pour traiter en mode projet l’abaissement massif des 450 millions de tonnes de gaz à effet de serre émis par an par la France, vers la neutralité carbone. Dans certains domaines, sur la production électrique, sur la décarbonation des process industriels et la mobilité, nous avons des plans à long terme partagés, avec des orientations. On sait où l’on doit aller, même si les obstacles sont nombreux. Mais ce n’est pas le cas sur le logement et l’agriculture, qui représentent près de 40 % des émissions brutes. Il n’y a, par exemple, pas de dispositif de rénovation thermique efficace des pavillons, il y en a 14 millions en France !
En matière d’économie circulaire, il faut faire confiance aux industriels qui sont prêts à prendre des engagements volontaires, ce qui est possible depuis que nous avons des filières structurées. Avec l’Etat, il faut réussir la co-construction de ces engagements et éviter la défiance qui conduit au micro-management.
Un autre enjeu du Pacte doit porter sur la souveraineté technologique. La France dispose d’un potentiel de recherche extraordinaire et de l’atout du crédit d’impôt-recherche, mais n’a pas encore assez de projets d’innovation de rupture. Un certain nombre de dispositifs ont été mis en place comme le Fonds pour l’innovation. Mais les financements traditionnels restent complexes et les montants faibles. Avec des taux d’emprunt quasi nuls, tout ce qui n’est pas de la subvention a moins d’intérêt. Il faut avoir une vraie réflexion sur les mécanismes de soutien à la recherche en France, et mieux faire levier sur les financements européens que nous sous-consommons.
Comment faut-il relancer une politique industrielle ?
Il y a une envie d’industrie sur le terrain que je n’ai jamais connue à ce point. L’Etat a lancé des réformes importantes mais les enjeux de compétences, de digitalisation des entreprises, d’apprentissage, de revitalisation des territoires d’industrie doivent se traiter au plus proche des entreprises. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de Conseil Etat-régions pour coordonner la mise en œuvre de ces actions et il faut par ailleurs des instances de travail pour en discuter et embarquer les industriels avec les exécutifs locaux. Tout ne peut pas venir d’en haut et il y a en ce moment trop de pertes d’énergie par frottements et d’inertie dans nos dispositifs…
« Deux ingénieurs français coûtent autant que trois en Allemagne. »
Espérez-vous un geste sur les impôts de production ?
Sur la question des coûts, l’enjeu reste celui des impôts de production, avec ce boulet de 80 milliards qui entrave nos entreprises. Même s’il reste également un sujet sur le coût du travail des salaires médians. Deux ingénieurs français coûtent autant que trois en Allemagne. Nous en discutons avec l’Etat. Pour l’instant, je ne sens pas de marges de manœuvre compte tenu de la non-réduction de la dépense publique. On parle de supprimer progressivement le reliquat de taxe C3S .Or cela ne représente que 3,6 milliards sur l’écart de 70 milliards d’euros de fiscalité de production qui nous pénalisent par rapport à l’Allemagne. Ce n’est pas à la hauteur du sujet.
Nous attendons une véritable trajectoire de baisse des impôts de production car l’enjeu ne concerne pas seulement les industriels français, mais impacte aussi l’attractivité du territoire France. Pour l’impôt sur les sociétés, l’Etat, même s’il a reporté la trajectoire initiale, ne l’a pas remise en cause. Faisons de même pour les impôts de production. Ayons à l’esprit que la montée en gamme de notre industrie prend du temps. Il faut d’abord baisser les coûts pour se donner de l’oxygène. Si rien n’était prévu sur la compétitivité-coût, il manquerait un volet essentiel dans ce Pacte.
Estimez-vous être écouté ?
Actuellement une large consultation est en cours, et le gouvernement écoute. Mais il va falloir que la rencontre se fasse entre le bottom-up et la vision au sommet de l’Etat. Cela doit être d’une autre nature que les arbitrages budgétaires traditionnels.
A lire sur le site de l’Usine Nouvelle.