[La Croix] L’Europe protège-t-elle assez ses intérêts économiques ?
Dans sa rubrique « Débats », le journal La Croix daté du 25 janvier expose les points de vue d’Elvire Fabry, chercheuse senior à l’Institut Jacques Delors, et d’Alexandre Saubot, Président de France Industrie, à propos de la protection des intérêts économiques de l’Europe.
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Il faut que «faire mieux» ne devienne pas «faire ailleurs» par Alexandre Saubot
« Que met-on met derrière cette idée de souveraineté ou de sécurité: autarcie ou compétitivité ? Je défends l’idée que la souveraineté, ce n’est pas tout faire tout seul, c’est faire suffisamment de choses suffisamment bien pour que les autres soient aussi dépendants de nous que nous ne le sommes d’eux.
Pendant longtemps, l’Europe a considéré qu’elle exercerait son pouvoir en étant un grand marché ouvert et attractif. La période récente a montré que ce modèle a atteint ses limites. Avec le renforcement des tensions, la guerre commerciale États-Unis – Chine, la crise énergétique, les vaccins, la question se pose de la capacité à produire en Europe dans une économie ouverte. Le grand sujet que nous, Européens, avons du mal à mettre en œuvre, c’est la question des clauses miroir. Nous nous imposons à nous-mêmes des normes environnementales et sociales strictes sans exiger que ce qui rentre sur le territoire soit conforme à ces règles.
Je pense par exemple à la nouvelle directive CSRD, qui contraint les entreprises à de nouvelles publications extra-financières pour renforcer la transparence sur leurs objectifs de développement durable, ou encore au débat sur le « devoir de vigilance », l’obligation de prévenir les risques sociaux et environnementaux tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Ces objectifs sont tous légitimes, mais il faut regarder les conséquences quand nous sommes les seuls à appliquer ces règles dans des domaines aussi importants que notre défense, la sécurité de nos approvisionnements en matières premières, en produits alimentaires, en biens industriels…
Il ne s’agit pas d’interdire systématiquement l’entrée des produits qui ne correspondent pas aux normes européennes, nous manquerions vite de beaucoup de choses. Il nous faudrait plutôt être capables de nuancer ces réglementations que nous nous appliquons tant que nous ne sommes pas en mesure d’imposer ce même niveau d’exigence à nos partenaires. Aux yeux de certains, l’Europe devrait, par une réglementation hyper-exigeante, être l’exemple à suivre. Cela ne marche que si on est suivi, et ce n’est pas le cas aujourd’hui. Si la Chine, par exemple, n’est pas prête à se mettre à nos standards, et que nous ne sommes pas en mesure d’interdire l’entrée sur le territoire des produits concernés, il faut accepter de dégrader le standard européen, pour qu’industriels, commerçants, agriculteurs, restent en situation de compétitivité.
Sinon, les besoins seront remplis par des importations, et ces dispositions n’auront pas pour effet de protéger la planète mais de déplacer la production vers le reste du monde où les conditions de production sont moins exigeantes. La France a déjà une électricité décarbonée et un niveau d’exigence élevé en matière sociale et environnementale. Il y a un équilibre à trouver, pour que «faire mieux» ne devienne pas «faire ailleurs». »